Jean-Marc et Emmanuelle Vincent
Fromagerie Vincent
Il faut sortir de la vallée verdoyante de Saint Etienne du Valdonnez puis prendre la direction du Pont de Montvert pour se retrouver au hameau de La Borie.
Deux exploitations, une avec des vaches et l’autre avec des chèvres, occupent cette bordure du plateau des Bondons à 1100 mètres d’altitude.
Une installation atypique
En 1985, ayant tous les deux une vingtaine d’années, Jean Marc et Emmanuelle décident de s’installer pour faire du fromage de chèvre. La mode à l’époque, c’est plus de surface pour plus de production. Leur démarche, au contraire, porte sur le produit, d’autant qu’ils n’ont pas de terres. Ils achètent, en Alsace, un très bon troupeau de 42 chèvres Saanen, une race bonne productrice à la robe blanche, qu’ils logent dans l’ancienne étable de la ferme familiale qu’ils ont récupérée. Au début, c’est un élevage hors-sol avec l’achat du foin pour toute l’année.
En 1987, 20 hectares de sectionnaux assez éloignés permettent de fournir le foin en hiver et d’amener de l’herbe aux chèvres en été. En 1992, un réaffectation des sectionnaux permet de doubler la surface et ainsi de faire sortir les chèvres pour pâturer. Le bâtiment est réaménagé, notamment la salle de traite, et le troupeau se stabilise alors à 100 chèvres avec l’introduction de chèvres Alpines, à la robe rousse. L’objectif est d’arriver à une moitié de chaque race pour dynamiser le troupeau. En 2001, ne voulant pas risquer de sacrifier la qualité des fromages en étant débordés par le travail, ils embauchent Géraldine, venue d’Alès avec un BTS et quelques années d’expérience. En 2014, toujours soucieux de cet équilibre entre les terres, le troupeau et le fromage, Sophie, munie aussi d’un BTS Production Animale est recruté, d’abord à mi-temps. Cette installation atypique de la part d’un fils de paysan suscitait pour le moins la curiosité mais aujourd’hui le résultat est là : une belle exploitation qui fait vivre Jean Marc et Emmanuelle, qui ont eu quatre filles, et salarie aussi 2 personnes.
Producteur Coeur Lozère
Laurent Augier • Vache48
Un souci de qualité où le travail à la fromagerie dicte le travail à la chèvrerie
Jean Marc et Emmanuelle s’en sont toujours tenu à leur démarche initiale : faire un fromage de chèvre de qualité. Jean Marc avait un BTS de gestion agricole mais ni l’un ni l’autre n’avaient de formation fromagère. Comme partout sur le Mont Lozère, il y avait deux ou trois chèvres sur la ferme familiale et la grand-mère faisait un peu de fromage pour la famille. C’est la recette familiale qui a servi de base; d’ailleurs, un des fromages s’appelle « le tradition ». Le tour de main acquis progressivement par Emmanuelle, fait aujourd’hui la qualité des Pélardons qui représentent l’essentiel de la production. Le procédé est simple et naturel mais paradoxalement difficile à maîtriser quand on veut une qualité régulière toute l’année. Un soin particulier est accordé au caillage. Bien sûr, il faut pour ça un bon lait et là, c’est davantage le tempérament d’éleveur de Jean Marc qui joue, en privilégiant la production d’un lait avec un bon rendement fromager. Pour cela, il élève les chèvres avec du bon foin et de bonnes pâtures à l’herbe variée et limite leur production tout en sélectionnant avec attention ses chevrettes. Le bon lait, c’est aussi des chèvres pas stressées et en bonne santé qui, pour certaines, prolongent tranquillement la même lactation pendant 4 ou 5 ans. Ce souci de qualité facilite la commercialisation des fromages affinés entre 11 et 15 jours, auprès de magasins ou restaurants fidèles qui en assurent la promotion à Mende mais aussi à Paris, Marseille et Montpellier.Une AOP et une reconnaissance
Le Pélardon est le plus connu des fromages de chèvre et c’est justement les quatre cinquièmes de la production de Jean Marc et Emmanuelle. Paradoxalement, 250 producteurs pouvaient peu ou prou se réclamer de cette appellation, sans trop de contraintes. Dès le début, Jean Marc a été attiré par la démarche entreprise pour obtenir l’Appellation d’Origine Protégée (AOP). Il a fallu 10 ans, jusqu’à août 2000, pour définir un Pélardon et mettre en place un cahier des charges exigeant et rigoureux qui valorise ce produit de notoriété. La Borie se trouve en limite nord de la zone définie, qui couvre bien sûr les Cévennes lozériennes et gardoises mais aussi une partie de l’Hérault et de l’Aude. Le pâturage est obligatoire au moins la moitié de l’année, l’ensilage est interdit, le concentré garanti sans OGM est limité. Enfin le lait doit être transformé tous les jours avec des ferments naturels et le Pélardon doit être affiné au moins 11 jours. A partir de ces règles communes, chaque producteur garde son identité reposant sur son savoir faire et la diversité des terroirs: cela se traduit sur les étiquettes dont la partie supérieure est commune et le reste libre pour chacun. Ce travail collectif a également été profitable à Jean Marc et Emmanuelle qui au fur et à mesure de la réflexion, s’interrogeaient sur leurs pratiques pour les améliorer. Le résultat, c’est une appellation reconnue pour tous et pour Jean Marc et Emmanuelle un Prix d’Excellence du Concours Général Agricole de Paris qui vient après 4 médailles d’or, 2 d’argent et 2 de bronze en 9 participations: une belle reconnaissance de leur travail.
* Extrait du Livre « Des femmes & des hommes une histoire de passion » publié en 2015, en vente à Hyper U Coeur Lozère.